.. Le voyage d'Avdicho

Il y a très longtemps, un pauvre paysan nommé Avdicho vivait avec sa femme et ses enfants dans le village Réché. Il travaillait durement dans ses champs qu'il labourait à l'aide de deux boeufs, mais, d'année en année, les récoltes diminuaient, et Avdicho avait de la peine à nourrir sa famille.

Un beau matin, de bonne heure, il réveilla donc sa femme et ses enfants et leur annonça:

- Il est trop difficile de continuer ainsi. Je veux aller rencontrer Dieu pour lui expliquer notre souffrance et lui demander d'améliorer notre lot. Je lui demanderai de nous rendre riches.

Sa femme, alarmée par la brusque décision de son mari, l'interrompit prudemment:

- Mais, quelle idée diabolique t'est venue à l'esprit? Es-tu fou? Ne sais-tu pas que nul ne rencontrera Dieu avant le jugement? Tu devrais te contenter de ce que tu as, au moins, nous ne risquons pas de mourir de faim. Bientôt, nos enfants t'aiderons dans le travail et nous aurons une vie beaucoup plus facile, tu verras.

Ils le supplièrent tous de renoncer à son projet, mais en vain. Avdicho était déterminé à rencontrer Dieu et personne ne parvint à lui faire changer d'avis. Une canne à la main et un baluchon sur l'épaule droite, Avdicho embrassa sa famille et se mit en route.

Après quelques jours d'une marche longue et pénible dans des contrées sauvages et isolées, il trouva sur son chemin un immense serpent couché à l'ombre d'un chêne. D'abord effrayé par la taille énorme du serpent, son aspect horrible et l'odeur de puanteur qui s'en dégageait, il comprit bientôt que le serpent agonisait.

Dès que le serpent le vit approcher, il lui demanda d'une voix extrêmement faible:

- Qui es-tu? Cela fait des années qu'aucun homme n'ose traverser ce pays.

Avdicho répondit d'une voix assurée:

- Je suis Avdicho, du village Réché. Je vais rencontrer Dieu pour lui demander de me rendre riche!

Le serpent soupira, sa queue -qui se trouvait à quelque distance de là- tremble, et des larmes aux yeux, il demanda:

- Avdicho du village Réché, pour l'amour de Dieu, pourrais-tu te souvenir de moi quand tu rencontreras Dieu? Cela fait de longues années que je souffre de douleurs terribles: le coeur me brûle, mon estomac se rétrécit, des vers me mangent de l'intérieur et ma peau saigne et me démange. Je ne peux même pas bouger et les vautours m'ont à l'oeil. Je ne suis ni vivant, ni mort, je ne peux plus continuer ainsi. Avdicho, je t'en supplie, demande à Dieu de me guérir!

- Par Dieu, je te plains!, dit Avdicho, je demanderai à Dieu de te délivrer de ces douleurs insupportables.

Avdicho quitta le serpent malheureux et continua son chemin. Quelques jours plus tard, après une marche épuisante sous le soleil ardent et par les nuits glaciales des hauts plateaux, peu avant le coucher du soleil, il aperçut de loin un paysan dans son champ. Le paysan quitta son travail, vint à sa rencontre au bord de la route et le salua avec ces mots:

- Voyageur, sois le bienvenu! Tu as l'aspect d'un homme qui vient de loin, tes pieds sont poussiéreux, la sueur coule sir ton visage et tes vêtements portent les traces d'un long voyage. Viens donc dans ma maison pour te reposer et dormir! Avdicho répondit:

- Je suis en chemin pour rencontrer Dieu et lui demander de me rendre riche. Je suis Avdicho du village Réché!

Le paysan répondit:

- Avdicho du village Réché, as-tu perdu la raison? Rentre chez toi, personne ne peut atteindre Dieu!

Mais, Avdicho ne voulut rien entendre. Il passa la nuit chez le paysan et, le lendemain, il était toujours décidé à reprendre la route.

Le paysan comprit qu'il était inutile d'insister et demanda alors:

- Avdicho du village Réché, pourrais-tu te souvenir de moi quand tu seras en face de Dieu? Ma vie est trop difficile, je ne sais comment nourrir ma famille. Chaque année, le blé et l'orge poussent en abondance dans mes champs et les épis deviennent lourds de graines, riches et plaines et dorées à souhait. Mais, quand le moment de la récolte approche, les graines tombent d'elles-même et les oiseaux dévorent tout sans exception. Demande à Dieu, s'il te plaît, de me délivrer de cette misère et de m'accordes la richesse.

Avdicho le lui promit, salua le paysan et reprit sa route. Après plusieurs jours d'un voyage long et éprouvant, Avdicho rencontra, dans une forêt, un groupe de chasseurs fiers et arrogants. Leur chef s'adressa à lui en ces termes:

- Paix sur toi, étranger. Je vois que tu n'es pas de ce royaume. Quelle affaire t'amène donc parmi nous?

Avdicho répondit:

- Je suis Avdicho du village Réché. Je vais rencontrer Dieu pour lui demander la richesse.

Le chef des chasseurs s'exclama:

- Avdicho du village Réché, es-tu fou de parler ainsi? Jamais tu ne pourras rencontrer Dieu et tu ferais mieux de rentrer dans ton village!

Mais, Avdicho ne voulut rien entendre et, à la fin, le chef des chasseurs lui demanda:

- Avdicho du village Réché, si vraiment tu persistes dans ton projet, continue donc ton chemin en paix. L'un de mes chasseurs t'accompagnera un moment, car dans cette forêt, les bandits sont maîtres et les routes sont peu sûres. Mais, lorsque tu rencontrera Dieu, demande-lui, si tu le peux, de rétablir l'ordre dans mon royaume, car personne ne m'écoute et personne ne m'obéit!

Avdicho promit au chef des chasseurs de transmettre sa requête à Dieu, puis il prit congé.

Après plusieurs jours d'une marche longue et pénible sur des sentiers escarpés, Avdicho arriva au milieu de grands rochers sur une haute montagne. Soudain, une personne apparut devant lui.

Bouleversé par cette apparition subite, Avdicho demanda d'une voix tremblante:

- Qui es-tu?

L'homme devant lui était très beau et haut de stature, il portait une belle barbe et son visage était lumineux. Il répondit d'un ton aimable et bienveillant:

- Je suis Khidrezindé, l'Eternel. Pourquoi es-tu venu sur cette montagne?

- Je suis Avdicho du village Réché. Je veux rencontrer Dieu pour lui demander de me rendre riche.

- Tu ne peux pas rencontrer Dieu, Avdicho, mais je peux transmettre tes requêtes, si tu le souhaites, dit Khidrezindé. Avdicho, rassuré par la douceur de ses paroles, cessa de trembler. Il savait que Khidrezindé vécut il y a très longtemps et qu'il vivra jusqu'au jour du jugement. Il disparut un jour de la face de la terre, mais il apparaît aux gens quant il le veut.

-Maître, s'il te plaît, quand tu iras vers Dieu, demande-lui d'abord de me rendre riche! Ensuite, Maître, n'oublie pas que, sur mon chemin, j'ai trouvé un serpent malade -demande à Dieu de le guérir. Puis, j'ai rencontré un pauvre paysan dont les moissons tombaient avant la récolte et un roi dans le royaume duquel régnait un désordre total- demande à Dieu d'améliorer tout cela!

- Attends-moi ici, je t'apporterai bientôt la réponse de Dieu, dit Khidrezindé.

Kidrezindé disparut sans laisser aucune trace de son passage, puis il réapparut subitement devant Avdicho et lui dit:

- Avdicho, Dieu a accepté toutes tes demandes. Premièrement, pour toi, tu trouveras la richesse. Quand au chef des chasseurs, c'est une fille. Tant qu'elle ne sera pas mariée, il y aura des désordres, mais une fois mariée, son règne sera efficace et l'ordre rétabli dans son royaume. Dis au pauvre paysan que sous un chêne, dans son champ, sept grandes jarres remplies d'or sont enterrés et qu'il doit creuser et les enlever. Quant au serpent, enfin, il doit manger le cerveau d'un imbécile et il guérira.

Aussitôt qu'il eut prononcé ces paroles, Khidrezindé disparut de nouveau, laissant Avdicho seul sur la haute montagne. Très heureux et le coeur en fête, Avdicho reprit le même chemin pour rentrer dans son village de Réché.

Quelques jours plus tard, il arriva dans le royaume du chef des chasseurs et alla directement à son palais. Le roi se leva et demanda s'il avait pu rencontrer Dieu. Avdicho répondit qu'il ne voulait pas en parler dans cet endroit et demanda au roi de sortir avec lui sans que personne les accompagne. Ils sortirent donc du palais et Avdicho expliqua:

- Dieu a dit que tu était une fille et non un homme. Le désordre et la désobéissance dans ton royaume persisteront tant que tu ne seras pas mariée. Dieu a ordonné que tu te maries.

Très étonné, le roi lui dit:

- Ce que tu racontes est vrai. Je me suis déguisé en homme. C'est une longue histoire dont je ne veux pas raconter les détails maintenant. Mais, puisque Dieu m'a ordonné de me marier, je suis prête à me marier avec toi, et tu deviendras roi avec moi dans ce royaume merveilleux.

- Non, non. Je suis moi-même très riche et je suis certain de ce que je possède. Tu ne pourras jamais m'offrir plus. Je ne veux pas d'autres richesses!

La fille-roi renouvela son offre généreuse et lui dit avec chaleur:

- Tu peux amener ta femme et tes enfants, ils auront tout ce que leurs coeurs demandent et tes enfants seront élevés comme les enfants des rois.

Mais, Avdicho ne voulut rien entendre et quitta le royaume pour rentrer chez lui.

Avdicho marcha quelques jours encore et rencontra le paysan qui l'avait accueilli auparavant. Le paysan lui souhaita la bienvenue et lui demanda ce que Dieu avait dit à son sujet. Avdicho dit:

- Dieu a ordonné que tu creuses sous le chêne qui se trouve dans ton champ. Là, tu trouveras sept grandes jarres toutes pleines d'or rouge.

Le coeur du pauvre paysan commença à battre très fort et ses yeux s'agrandirent d'étonnement. Toutes ces années de misère, alors qu'un trésor était enfoui sous ses pieds? Il appela ses fils et, sans plus tarder, ils se mirent à creuser tous ensemble la terre sous le chêne.

Finalement, après une heure de travail en creusant profondément entre ses racines, ils sortirent, l'une après l'autre, sept grandes jarres toutes pleines d'or rouge. Le paysan manqua tomber à la renverse tellement il était heureux, puis, il dit, la voix tremblante d'émotion et de reconnaissance:

- Avdicho du village Réché, c'est toi qui m'a apporté cette immense richesse, c'est grâce à toi que nous sommes sauvés. Grâce à toi, nous voyons la fin de nos peines et de ces noires années de disette. Sois sûr que ton nom ne sera pas oublié! Voici, prends, quatre des jarres sont pour toi, et avec les trois autres, moi et ma famille vivrons sans soucis pour le restant de nos jours. Prends ces jarres, car tu les mérites!

- Non, non, je n'en veux pas! Moi, Avdicho du village Réché, je suis plus riche que vous autres, plus riche que quiconque, et ma richesse est certaine, car c'est Dieu qui me l'a promise!

Le paysan le supplia encore longuement d'accepter l'or, mais Avdicho ne voulut rien entendre et continua enfin son chemin.

Après de long jours et de longues nuits de marche, il passa par l'endroit où il avait rencontré le serpent agonisant. Il le salua et lui dit:

- Pauvre serpent, je t'apporte de bonnes nouvelles!

Le serpent ouvrit lentement les yeux et dit d'une voix à peine audible:

- Quelle chance! Raconte-moi ce qui s'est passé.

Avdicho commença alors à raconter toute l'histoire: son long et pénible voyage, sa rencontre avec Khidrezindé sur la montagne, l'histoire de la fille-roi, chef des chasseurs et celle du pauvre paysan et de ses jarres d'or rouge. Finalement, il conclut:

- Et quant à toi, mon pauvre serpent, Dieu a ordonné que tu manges le cerveau d'un imbécile!

Le serpent le fixa un bon moment, l'air pensif. Enfin, il dit:

- Alors, Avdicho, si j'ai bien compris, tu ne t'es pas marié avec la fille-roi.

- C'est cela même, dit Avdicho.

- Avdicho, tu n'as pas accepté non plus les quatre jarres toutes pleines d'or rouge que le paysan voulait te donner.

- C'est exact, dit Avdicho.

- Et pourquoi n'as-tu pas accepté cet or, Avdicho?

- Parce que je ne voulais pas de tout cela, dit Avdicho.

- Bien, dans ce cas, je ne crois pas que je trouverai plus stupide que toi. Vraiment, tu es un imbécile!, dit le serpent.

Et d'un mouvement rapide, il leva la tête, tua Avdicho et mangea son cerveau.

Ainsi se termina le voyage d'Avdicho le cupide qui voulait plus que ce qu'on lui offrait. Il faut savoir que la cupidité est un mauvais guide.

© Peresh et Orient-Réalités , 1991